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Introduction

 

 

Le but du présent chapitre n’est aucunement d’écrire un manuel de logique : il serait largement redondant.

 

Le raisonnement logique a de tous temps été une des techniques utilisées par les grands penseurs. Leurs raisonnements n’ont pas toujours été exempts d’erreurs, comme le “je pense donc je suis” de Descartes, la preuve de l’existence de Dieu de St Anselme, connue sous le terme de “preuve ontologique” ou le paradoxe de Zénon sur Achille et la tortue. Enfin le précepte connu sous le nom de “Rasoir d’Occam” s’est systématiquement avéré correct dans toutes ses applications mais n’avait jusqu’à présent pas encore trouvé de justification logique.

 

Vous trouverez ci­après quelques courts articles, chacun couvrant un des sujets mentionnés ci­dessus et ce dans l’ordre suivant:

 

  • Les paradoxes de Zénon: "Achille et la tortue" et "la flèche"

 

  • La preuve ontologique de l’existence de Dieu de St Anselme

 

  • Le Rasoir d’Occam

 

  • Cogito ergo sum

 

Nous terminerons par une conclusion générale.

 

 

 

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Les Paradoxes d’"Achille et la tortue" et de "la flèche" de Zénon 

 

Le philosophe grec Parménide, qui vécut de la fin du VIème au milieu de Vème siècle avant notre ère, avait formulé la théorie que dans le monde rien ne se meut, rien ne bouge, tout est immobile et figé. Il était arrivé à cette conclusion assez surprenante par un raisonnement purement théorique qui ne fait pas l’objet du présent article. Le fait que ce principe soit contredit par tout ce que l’homme observe dans la vie courante ne le gênait absolument pas. Pour lui, si des faits observés contredisaient une théorie obtenue par un raisonnement logique, c’étaient les faits qui avaient tort, pas le raisonnement.

 

 

Pour soutenir cette position, son élève Zénon d’Elée avait développé des paradoxes parmi lesquels le plus connu est celui d’Achille et de la tortue. Le voici résumé.

 

Supposons que le héros grec Achille dispute une course à pied avec une tortue accordant au reptile une avance quelconque, disons cent mètres. Zénon d’Elée affirme qu’Achille ne rattrapera jamais la tortue. En effet, au moment où Achille arrive au point de départ de la tortue, celle-ci aura parcouru une certaine distance, aussi petite soit-elle, et se trouvera devant Achille. Lorsque celui-ci rejoindra la nouvelle position de la tortue, celle-ci aura de nouveau parcouru une certaine distance et se trouvera donc toujours plus loin qu’Achille. Ce raisonnement peut être répété à l’infini : toutes les fois qu’Achille atteint l’endroit où la tortue se trouvait, elle se retrouve encore plus loin. Zénon en conclut qu’Achille ne rattrapera donc jamais la tortue.

 

Zénon avançait également une variante de ce paradoxe, basée sur le même principe. Cette fois Achille tente de courir une distance disons de 100 mètres. Pour ce faire il doit d’abord parcourir la moitié de la distance (50 mètres), puis la moitié de la distance restante (25 mètres), puis de nouveau la moitié de la distance restante (12,50 mètres) et ainsi de suite à l’infini : Achille n’arrivera donc jamais au bout de ses 100 mètres.

 

En analyse moderne, ces deux paradoxes sont résolus en utilisant la théorie mathématique des séries infinies qui n’existait évidemment pas du temps de Zénon et de Parménide. Elle démontre qu’une somme infinie de chiffres ne tend pas nécessairement vers l’infini mais peut dans certains cas, tel celui-ci, converger vers un résultat fini. Ses formules permettent de calculer quand Achille rattrapera la tortue en fonction de leurs vitesses respectives. Mais les paradoxes de Zénon présentent également des erreurs de pure logique qui auraient déjà pu être détectées de son temps.

 

Dans sa “Physique” Aristote pointe vers une première erreur en faisant remarquer que si les distances deviennent de plus en plus courtes, les temps pour les parcourir eux aussi deviennent nécessairement de plus en plus courts. L’argument énoncé de cette façon ne suffit pas car même si les intervalles de temps deviennent de plus en plus courts, leur somme pourrait théoriquement toujours être infinie. Il est toutefois possible de généraliser l’objection d’Aristote. De fait Zénon traite les notions de temps et de distance de façon différente. Implicitement il pose qu’une distance finie (les 100 mètres que'Achille doit parcourir par exemple) peut être divisée en une quantité infinie de parcelles mais que cela n’est pas possible pour un laps de temps fini. Il ne justifie pas cette différence mais la pose comme acquise a priori. Il s’agit là d’un axiome non énoncé. Le paradoxe de Zénon ne fonctionne qu’avec l’acception de cet axiome. Sans lui, l’argument tombe.

 

Mais il y a une deuxième erreur. Dans les deux cas, le raisonnement de base parle exclusivement de distance en ne mentionnant jamais le temps. Il parle des distances parcourues par Achille, ou par Achille et paér la tortue. Puis le paradoxe fait un saut de logique et tire une conclusion en temps en concluant “jamais”. Pour pouvoir tirer une conclusion en temps en partant d’un raisonnement en distance, Zénon aurait dû établir une relation entre la distance et le temps, ce qu’il ne fait pas.

 

Ces paradoxes contiennent donc les mêmes deux erreurs de logique : d’une part ils traitent les notions de temps et de distance de façon différente sans justification, et ensuite ils posent un raisonnement en distance mais concluent en temps, sans établir de lien entre les deux.

 

Zénon énonce un autre paradoxe basé sur le mouvement appelé paradoxe de la flèche. Pour pouvoir voler, la flèche doit changer de position. Il constate qu’à chaque instant de son vol, la flèche se trouve en une position bien précise, occupant exactement son volume propre. Un tel instant est nécessairement sans durée, pour la mathématique moderne il s’agit d’un point sans dimensions sur la ligne du temps. Pendant cet instant la flèche est immobile. Cela est vrai pour chaque position que la flèche occupe durant son vol. La flèche étant immobile à chaque instant de son vol, son mouvement est donc impossible.

 

Le problème ici est plus difficile à décortiquer. Cette difficulté vient de la définition mathématique de ce que sont un point, une droite ou un plan. Un point n’a aucune dimension. Un segment de droite est une succession infinie de points et n’a qu’une dimension : sa longueur. Il n’a pas d’épaisseur. Comment une série de points sans dimensions peut-elle créer un segment de droite qui, lui, a une longueur ? En d’autres mots, quel est le résultat de la multiplication zéro fois infini ou 0x ? En mathématique on dit que le résultat est indéterminé. Il diffère au cas par cas et il n’y a pas de résultat général. Ainsi pour un segment d’une droite, 0x est égal à la longueur de ce segment. Pour tout autre segment, la même multiplication donnera la longueur de cet autre segment. Astuce de mathématicien ? Peut-être. Mais incontournable. Ici de nouveau, le problème réside dans un axiome de base. Pour que le paradoxe de Zénon tienne, il faut que 0x = 0. Pour que son paradoxe ne tienne pas il faut que 0x soit indéterminé. L’empiriste dira que comme la flèche se déplace et que cela démontre que c’est le deuxième axiome qui est correct.

 

Tout raisonnement part nécessairement d’un certain nombre d’axiomes, implicites ou explicites. Le résultat du raisonnement découle nécessairement du choix de ces axiomes de base. Come un axiome n’est jamais prouvable, aucun raisonnement n’est exact non plus. C’est pour cela que le scientifique observe la nature, mais ceci est également un axiome de base, même s’il semble raisonnable.

 

 

 

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L’erreur dans la preuve de Saint Anselme

 

Ou

Pourquoi sa preuve ontologique ne prouve pas l’existence de Dieu

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Né à Aoste en 1033, Saint Anselme vécut d’abord à l’abbaye bénédictine de Bec en Normandie puis à Canterbury dont il fut archevêque de 1093 à la fin de sa vie en 1109. Il a écrit deux livres théologiques, le Proslogion et le Monologion. Il est principalement connu pour la preuve ontologique de l’existence de Dieu qu’il donne dans le Proslogion et dont voici une traduction française :

 

“Nous croyons que tu (Dieu) es quelque chose de tel que rien de plus grand ne puisse être pensé. Est ce qu’une telle nature n’existe pas, parce que l’insensé a dit en son cœur : Dieu n’existe pas? Mais du moins cet insensé, en entendant ce que je dis : quelque chose de tel que rien de plus grand ne puisse être pensé, comprend ce qu’il entend ; et ce qu’il comprend est dans son intelligence, même s’il ne comprend pas que cette chose existe. Autre chose est d’être dans l’intelligence, autre chose exister. Et certes l’Être qui est tel que rien de plus grand ne puisse être pensé, ne peut être dans la seule intelligence ; même, en effet, s’il est dans la seule intelligence, on peut imaginer un être comme lui qui existe aussi dans la réalité et qui est donc plus grand que lui. Si donc il était dans la seule intelligence, l’être qui est tel que rien de plus grand ne puisse être pensé serait tel que quelque chose de plus grand pût être pensé” (traduction reprise de l’Histoire de la philosophie d’Émile Bréhier)

 

Tentons de rationaliser un peu ce texte du Moyen-âge quelque peu obscur.

 

“Considérez que le terme Dieu veuille dire la chose la plus parfaite qui puisse être pensée. Même l’insensé (dans le vocabulaire d’Anselme le non-croyant) entend cette définition et la comprend, même si pour lui cette chose ainsi définie n’existe pas dans la réalité. Elle est donc dans son intelligence et il comprend ce concept. Le concept de “la chose la plus parfaite qui puisse être pensée” se trouve donc dans toute intelligence, même celle de l’incroyant qui réfute l’existence de Dieu. Maintenant, un Dieu qui existe est plus parfait qu’un Dieu qui n’existe pas. S’il n’existait pas il y aurait contradiction : la chose la plus parfaite – qui se trouve dans l’esprit tant du croyant que de l’incroyant – ne serait justement pas la chose la plus parfaite. Le seul moyen d’enlever cette contradiction est que Dieu existe.”

 

Cette pensée est ingénieuse et simple. Soulignons immédiatement que pour fonctionner il ne faut pas seulement que cette définition soit présente dans l’esprit de l’incroyant : il faut aussi qu’il la comprenne, en d’autres mots qu’elle soit compréhensible. En effet, une pensée que personne ne comprend n’est certainement pas une preuve.

 

Bien que critiquée dès le départ par d’autres penseurs, cette preuve fut exploitée par les scholastiques et même par Descartes. Aujourd’hui tout le monde – croyant comme incroyant – sent bien que la preuve est probablement incorrecte. Mais quelle est la faute de raisonnement ?

 

Déjà de son temps, Anselme s’est fait attaquer par le moine bénédictin Gaunilo de Marmoutiers. Celui-ci avançait qu’il suffirait donc de penser à l’île la plus parfaite qui soit pour prouver par là-même qu’elle existe donc nécessairement dans la mer. La réponse d’Anselme dans sa “Responsio” est aussi ingénieuse que sa preuve. Une île est une chose limitée et à toute île il manque toujours une infinité de qualités. De même pour une île imaginée : hormis l’existence il lui manquera nécessairement d’autres qualités : on ne peut donc rien prouver. Le raisonnement ne tient que pour une chose absolument parfaite. La perfection absolue est un attribut de Dieu et de lui seul. En d’autres termes, le raisonnement n’est correct que pour Dieu qui est la perfection la plus parfaite et insurpassable et auquel il ne manquerait qu’une seule qualité s’il n’existait pas, celle justement de l’existence. En réponse à l’argument de Gaunilo, Anselme a donc été obligé de subtilement changer l’énoncé de sa preuve. Ce qui est dans la pensée de l’insensé n’est plus “quelque chose de tel que rien de plus grand ne puisse être pensé” mais est devenu "une chose absolument parfaite".

 

 

Plusieurs penseurs se sont penchés sur la preuve. Ainsi Kant a remarqué qu’une chose qui existe n’est pas nécessairement plus parfaite qu’une chose imaginée, clé de voûte du raisonnement d’Anselme. Etrangement la plupart des penseurs considèrent que cet argument à lui seul ne suffit pas à démonter la preuve d’Anselme. Nous y reviendrons plus loin.

 

La plupart des philosophes sont d’accord qu’on ne peut pas réellement prouver l’existence d’une chose par la simple analyse d’un mot, dans ce cas-ci le mot Dieu. Il semblerait toutefois que l’erreur exacte dans le raisonnement n’ait pas encore été clairement démontrée.

 

Tentons une analyse.

 

Commençons par l’objection de Kant. Une preuve, quelle qu’elle soit, part nécessairement d’un ensemble d’axiomes ou d’hypothèses de départ qui, par définition, n’auront pas été prouvés. La qualité d’une preuve dépend donc essentiellement de la qualité des axiomes utilisés. Notons que le scientifique teste la qualité de ses hypothèses en faisant des essais qui les confirmeront ou les infirmeront. La règle énoncée par Anselme qu’une chose qui existe est plus parfaite qu’une chose qui n’existe pas est un axiome et n’est pas prouvable. Avec quelque raison on pourrait d’ailleurs retourner sa preuve en disant qu’une chose qui existe est toujours moins parfaite qu’une chose que l’on peut fabriquer de toutes pièces dans sa tête et en conclure que ceci est la preuve que Dieu n’existe pas. Cette preuve aussi ne tiendrait que par l’axiome qui la sous-tend. L’objection de Kant montre bien que le raisonnement d’Anselme ne tient que par son axiome de base et que sa preuve n’est donc certainement pas absolue, comme d’ailleurs aucun raisonnement ne l’est jamais.

 

De plus, Anselme fait un saut imperceptible dans son raisonnement. Il commence par donner une définition générale de Dieu : “quelque chose de tel que rien de plus grand ne puisse être pensé”. Cette définition est toute théorique, et il n’y a pas lieu de détailler les qualités de cette chose absolument parfaite. Puis il change son fusil d’épaule, et spécifie une des qualités que cette chose devrait nécessairement avoir : celle de l’existence. On ne parle subitement plus de définition abstraite, mais de description pratique. Qu’en est-il alors des autres qualités de ce Dieu qui est maintenant une chose dont on énumère les qualités ? Ainsi les croyants eux-mêmes admettent qu’il y a des contradictions dans les qualités parfaites d’un Dieu parfait : comment, par exemple, pourrait-il être infiniment miséricordieux tout en restant infiniment juste ? Pour que la preuve d’Anselme tienne, il faut que “du moins cet insensé, en entendant ce que je dis: quelque chose de tel que rien de plus grand ne puisse être pensé, comprend ce qu’il entend ; et ce qu’il comprend est dans son intelligence”. Il faut en d’autres mots que la description des qualités infinies de Dieu soient dans l’intelligence et soient comprises. Personne, ni croyant ni non-croyant, ne peut, avec son cerveau limité, concevoir un ensemble infini de qualités “parfaites”.

 

 

De deux choses l’une. Soit l’on s’en tient à une définition qui n’énumère aucune des qualités de l’objet, donc on ne peut pas non plus parler de son existence ou de sa non-existence. Soit on cite une des qualités, et alors il faut envisager nécessairement les autres, ce qui est impossible. La preuve d’Anselme ne tient dans aucun des deux cas. Anselme lui-même a insisté, en réponse à la remarque de Gaunilo, que le raisonnement ne tient que dans le cas de Dieu qui rassemble en lui toutes les qualités de la perfection totale. Imaginer qu’un esprit humain puisse comprendre quelque chose d’absolu est absurde. Pour cela il faudrait avoir une puissance de pensée illimitée. Ceci est évidemment impossible. L’être tel que rien de plus grand ne puisse être pensé ne peut tout simplement pas être compris par l’homme. Contrairement à ce qu’Anselme affirme, ni le croyant ni l’insensé ne “comprend ce qu’il entend”.

 

L’argument ci-dessus peut être formulé d’une autre façon. Pour pouvoir répondre à l’argument de Gaunilo, Anselme a légèrement modifié le principe de départ de son raisonnement. Il était parti de “quelque chose de tel que rien de plus grand ne puisse être pensé” mais est obligé de transformer ceci en, et c’est moi qui formule, une chose absolument parfaite. En effet, pour que la preuve fonctionne, l’existence doit être la seule qualité qui manque. Il y a là un glissement distinct dans sa définition de départ. Il pose en axiome que la perfection existe, à tout le moins en pensée. En d’autres mots, il pose dès le départ que Dieu existe. Il ne prouve donc rien.

 

Reste une dernière considération. Jusqu’à quel point un raisonnement en apparence correct est-il automatiquement applicable à la nature? En philosophie il y a deux positions contradictoires. Pour les rationalistes la vérité ne peut être obtenue que par un raisonnement correct alors que pour les empiristes, toute pensée doit être vérifiée dans la nature.

 

Qui a raison ? Cette question fait rage entre les philosophes depuis Parmenide. Que l’on se place du point de vue du rationaliste ou de celui de l’empiriste, la preuve d’Anselme ne tient dans aucun des deux cas. Pour l’empiriste, la preuve d’Anselme devrait être vérifiée par les sens, ce qui n’est pas le but d’Anselme. D’un point de vue rationaliste, la preuve ne tient pas non plus. Tout raisonnement est nécessairement établi en partant d’axiomes, implicites ou non.

 

Aucun raisonnement n’est donc correct dans l’absolu. Anselme pensait proposer une preuve absolue et s’est donc trompé.

 

Le raisonnement d’Anselme est un joyau de toute beauté, cela va sans dire. Mais il est un joyau qui contient quelques belles erreurs.

 

 

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Le Rasoir d’Occam

 

Une Explication

 

“Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem”

 

 

Guillaume d’Ockham ou d’Occam (c. 1285–1349) est un moine franciscain anglais. Ses théories “nominalistes” étant sur le point de se faire condamner par le pape (il sera finalement excommunié) il s’enfuit à Munich où il terminera sa vie d’études. Sa contribution philosophique la plus connue est le fameux “rasoir d’Occam” dont question ici.

 

L’énoncé se traduit littéralement par “Les entités ne doivent pas être multipliées par delà ce qui est nécessaire”. Il est devenu un des principes fondamentaux de la science. On paraphrase souvent ce précepte en “si deux théories expliquent également un phénomène, il faut préférer celle qui pose le moins d’entités”. En d’autres termes il faut choisir la plus simple. Le rasoir d’Occam est ainsi appelé parce qu’il encourage à “raser” toute complication inutile.

 

Dans la vie courante ce principe semble évident. Pourquoi faire un détour si on peut aller directement vers sa destination ? Dans le domaine de la science le principe du rasoir est systématiquement appliqué bien qu’une explication rationnelle n’en ait pas encore été trouvée. En effet, a priori il n’y a aucune raison pour que la nature fonctionne toujours de la façon la plus simple. Alors pourquoi la formule la plus simple serait-elle toujours la bonne ?

 

Pourtant jusqu’à présent ce principe n’a jamais été mis en défaut.

 

Au 19ième siècle les savants pensaient que la recherche scientifique allait s’arrêter bientôt car ils étaient convaincus que tous les phénomènes naturels seraient bientôt expliqués. Ils conseillaient même aux jeunes universitaires de ne pas choisir la physique, domaine sans avenir. Cela est certainement une belle exagération car non seulement la vérité ultime semble s’éloigner au fil des découvertes de plus en plus nombreuses que les scientifiques font, mais de plus la plupart des savants admettent aujourd’hui que la science est là non pas pour “expliquer”, mais pour “décrire” les phénomènes naturels. Elle ne répond pas à la question “pourquoi” mais à la question “comment”. En électricité elle se contente de constater – expériences à la clef – que le plus et le moins s’attirent, alors que deux positifs ou deux négatifs se repoussent. Elle n’explique pas pourquoi les choses se passent ainsi ou pourquoi ce n’est pas le contraire qui se produit. Elle ne décrit pas non plus en quoi consiste cette négativité ou cette positivité ni comment un élément chargé électriquement détecte la charge des autres.

 

Je me permettrai toutefois de mettre en doute même ce principe de la description. Est-ce bien ce que la science fait ?

 

Donnons quelques exemples.

 

La loi des gaz parfaits avance que pV=nRT. Dans cette formule p représente la pression, V le volume, n la quantité de gaz, T la température et R est une constante. Même si elle est approximative (car dans la réalité les gaz ne sont évidemment pas parfaits), cette formule a l’avantage d’être simple. Elle montre par exemple que si on chauffe un gaz dans un volume constant, la pression augmentera. Elle permet de faire des calculs pratiques dans la vie courante et par exemple de construire des frigos. Tout cela est éminemment utile.

 

De fait cette loi ne “décrit” en rien le comportement des gaz dans un espace clos. Dans la réalité, des quantités astronomiques de molécules de gaz voyagent à grande vitesse, s’entrechoquent et se cognent à la paroi. La pression n’est donc pas uniforme sur toute la paroi et un appareil suffisamment petit mesurerait une pression élevée à l’endroit où une molécule heurte la paroi, et une pression zéro à tout autre endroit. Il n’y a aucune relation entre la formule précitée et ce mouvement compliqué des molécules. Le but de la formule n’est d’ailleurs pas de décrire la réalité, mais de procurer un moyen de calcul simple et pratique. Il serait en effet impossible de mettre en formule le comportement de milliards de molécules qui voyagent et s’entrechoquent. Comme le conseille le rasoir d’Occam, la formule la plus simple (et donnant des résultats suffisamment bons) suffira donc, même si cette formule ne décrit pas le phénomène tel qu’il se passe dans la réalité.

 

 

Dans cet exemple nous avons abordé un phénomène naturel que l’on peut décrire qualitativement (le mouvement des molécules) mais qui est trop complexe pour pouvoir être mis en équation. La science se contente donc d’établir une formule simple et approximative, mais suffisante pour la plupart des calculs pratiques de la vie courante.

 

Dans la plupart des cas toutefois, le scientifique ne sait pas du tout ce qui se passe réellement dans la nature et se contente de trouver des formules approximatives mais utiles. Donnons un exemple. L’atmosphère est traversée en tous sens par ce que nous appelons des ondes électromagnétiques. Il y a la lumière, les ondes radar, radio ou télévision, et j’en passe. Chaque espace, aussi minuscule soit-il, est traversé d’ondes de toute sorte dans tous les sens. Elles traversent notre corps en permanence sans que nous ne nous en apercevions.

 

Mais de fait, qu’appelons-nous une onde? Comme exemple, le mathématicien cite l’onde circulaire créée lorsqu’on laisse tomber une pierre dans un lac parfaitement calme, ou l’onde longitudinale de la propagation du son dans l’air.

 

Pas de problème : tout le monde peut comprendre cela intuitivement. Ce genre d’ondes a donné naissance à des formules mathématiques. Il est apparu que ces formules sont également pratiques pour effectuer des calculs dans le domaine des ondes électromagnétiques. L’utilisation de ces formules permet de construire tant d’appareils qui nous entourent : télévision, radio, téléphone, radar etc. Mais cela veut-il dire que ce que nous appelons des ondes électromagnétiques sont effectivement des ondes, rien que parce que l’utilisation de ces formules donne de bons résultats ? Rien n’est moins certain. Comment des ondes se déplaceraient-elles dans le vide ? Dans quoi ondulent-elles ? Ce problème a amené les scientifiques du 19ième siècle à inventer l’éther, substance hypothétique omniprésente et supposée être le support indispensable à leur propagation : les ondes “onduleraient” dans l’éther comme les molécules d’eau ondulent à la surface d’un lac perturbé par la chute d’une pierre. Cette hypothèse a été abandonnée au début du 20ième siècle. De plus, ces formules ne suffisent pas pour expliquer tous les phénomènes associés avec les ondes électromagnétiques. Dans plusieurs cas il a fallu inventer d’autres formules qui considèrent que ces ondes sont de fait corpusculaires et constituées de ce qu’on appelle des photons. Il y a donc deux ensembles de formules contradictoires et d’après le cas il faut utiliser parfois l’un et parfois l’autre. Bien qu’incapable de décrire ce qui se passe dans la réalité, la science a établi des formules permettant d’exploiter ce phénomène tellement utile à la vie moderne. Rien ne permet pourtant de conclure s’il s’agit d’ondes, de corpuscules ou d’autre chose encore.

 

Autre exemple : la gravité. Elle est décrite par des formules simples qui permettent de calculer les mouvements des corps solides. Mais de quoi est-elle faite ? Comment se fait-il qu’elle agisse instantanément, avec une vitesse de propagation infinie ? Est-ce une “onde” ? Nous n’en savons rien. Nous sommes totalement incapables de “décrire” la gravité. De nouveau, la science se contente de proposer des formules permettant des applications pratiques, sans décrire les phénomènes. “Gravité” n’est qu’un nom et la formule qui dit que la force d’attraction entre deux objets est proportionnelle à leurs masses et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare ne décrit en rien la nature du phénomène.

 

Il y aurait moyen de multiplier les exemples, nous nous en tiendrons là.

 

La science ne “décrit” donc pas la nature non plus, elle se contente le plus souvent – faute de pouvoir faire mieux – d’établir des formules ou des modèles mathématiques. Il n’y a la plupart du temps aucune relation entre ces calculs et la réalité qualitative. Il semble donc logique de choisir les formules les plus simples donnant des résultats exploitables. Donnons un exemple. Les formules d’Einstein sont un perfectionnement des formules de Newton.

 

Dans la vie courante, les formules de Newton suffisent largement et les raffinements des formules d’Einstein sont tellement petits qu’ils sont imperceptibles. On continue donc encore toujours à utiliser les premières et ne pratique les secondes que lorsque cela est indispensable.

 

Le rasoir d’Occam est donc tout simplement une règle de sagesse dans un monde scientifique qui doit se contenter de proposer des formules et modèles mathématiques faute de pouvoir “décrire” les phénomènes.

 

Mais on peut aller plus loin dans les conclusions logiques. Dans beaucoup de domaines qui nous sont qualitativement complètement inconnus, de brillants savants parviennent à établir des modèles mathématiques et des principes qui sont confirmés par les mesures et des essais. Citons entre autres les domaines de l’infiniment grand – le cosmos – et celui de l’infiniment petit – la structure de l’atome. Par exemple, est-ce que le principe de l’exclusion de Pauli décrit ou explique quoi que ce soit ? Qu’est un “spin” dans la réalité ? Est-ce, comme le mot l’indiquerait, une rotation ? Pas le moins du monde. Le spin n’est de fait qu’un modèle qui permet de classifier les bosons et les fermions mais qui n’a aucune qualité descriptive. Le principe d’exclusion ne décrit pas non plus comment un élément détecte le spin d’un autre, ni ce qui le pousse à changer d’état s’il détecte le même.

 

Lorsqu’une nouvelle méthode de calcul permet de prédire des phénomènes qui auparavant étaient imprévisibles, peut-on en conclure que ces modèles mathématiques sont des descriptions exactes de ce qui se passe dans la nature ? Il me semble bien que non ! Il s’agit là dans d’un saut logique injustifié. Je me permettrai de proposer un exemple particulièrement osé mais à mon avis tout à fait dans la ligne de ce qui précède. Ce n’est pas parce que la théorie du Big Bang permet de calculer des tas de choses vérifiables que cela prouve que le Big Bang a réellement eu lieu, tout comme la formule pV=nRT ne décrit pas le comportement réel d’un gaz dans un bocal, ou que les ondes électromagnétiques ne sont pas des ondes. Jusqu’à preuve du contraire, le Big Bang est un modèle mathématique efficace et merveilleux peut-être, mais pas nécessairement descriptif.

 

Il est temps que la science accepte sa position correcte et abandonne cette illusion de pouvoir “décrire” la nature au travers de formules mathématiques même éprouvées. On ne peut décrire la nature que par observation directe. On ne peut la décrire au travers de formules mathématiques qui ne resteront jamais que des outils de calcul sans aucun pouvoir descriptif.

 

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"Je pense donc je suis" (René Descartes)

 

 

 

 

 

 

 

Lorsque l’on veut indiquer qu’un raisonnement est d’une logique rigoureuse, on utilise souvent l’adjectif “cartésien”. Cet adjectif fait référence au français René Descartes (1596-1650), mathématicien génial et philosophe considéré comme le fondateur de la philosophie moderne. Son raisonnement le plus connu est le fameux “je pense donc je suis”[1]. N’est-il pas étrange que la phrase la plus connue de l’homme qui a donné son nom à la rigueur logique soit de fait une tautologie ?

 

Son erreur est d’avoir voulu prouver quelque chose (en l’occurrence l’existence de Dieu) en partant de rien. On ne peut rien prouver en partant de rien. On ne peut rien construire à partir de rien. Pour construire un raisonnement, il faut nécessairement partir d’un certain nombre d’éléments que l’on appelle normalement des hypothèses de base ou des axiomes. Souvent ces axiomes de base sont implicites et n’ont pas été clairement énoncés, mais ils sont présents sinon le raisonnement serait impossible. Son “je suis” est de fait un de ses axiomes de base, et non la conclusion d’un raisonnement.

 

De plus, Descartes avait décidé a priori qu’il voulait prouver l’existence de Dieu. Sa conclusion était déterminée à l’avance et le raisonnement construit pour y arriver. Il est toujours dangereux de connaître à l’avance sa conclusion, et d’écrire son raisonnement en fonction de celle-ci.

 

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Conclusion générale

 

Tout raisonnement part d’un certain nombre d’axiomes qui, par définition, n’auront pas été prouvés.   Très souvent ces axiomes ne sont pas explicités mais sont jugés “allant de soi”.

En changeant d’axiomes, il est possible de prouver tout et n’importe quoi.   Pour analyser un raisonnement, il y a lieu d’analyser avant tout quels sont les axiomes de base qui le sous-tendent.   Bien souvent on découvrira que si les conclusions du raisonnement semblent farfelues, c’est parce que les axiomes le sont aussi. Mais il n’y a jamais moyen de prouver qu’elles le sont: à un axiome on ne peut qu’opposer un autre axiome et on ne prouve donc jamais rien.

L’axiome de base de tout scientifique et des philosophes empiristes est que la nature est la mesure de toute chose.   Cet axiome semble raisonnable.   Il a permis de construire des voitures, des casseroles à pression et des bombes atomiques.   Mais il ne s’agit toujours que d’un axiome, nié par exemple par les philosophes solipsistes.

Et ainsi on se retrouve dans cette éternelle discussion entre les empiristes, pour lesquels l’observation de la nature au travers des sens est la seule solution, et les rationalistes, pour lesquels la raison est la seule source de vérité.   Il est impossible de prouver lequel des deux groupes a raison et lequel a tort.   Mais on peut remarquer que la raison peut mener à n’importe quelle conclusion puisqu’elle peut prendre n’importe quel axiome comme point de départ.   Si les rationalistes avaient raison la vérité n’existerait pas.   Je suis et reste donc un empiriste convaincu.

 

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